Article:Alcool et Plongee
L’alcool et la plongée, pas un bon cocktail!
Un texte original du Dr Dominique Buteau directeur et Jocelyn Boisvert coordonnateur Centre de médecine de plongée du Québec.
Depuis sa découverte il y a plus de 6000 ans, l’alcool fait partie courante de nos vies. Les publicités de bières et spiritueux nous démontrent souvent une joie de vivre associée à l’alcool. Bon nombre de plongeurs aiment bien célébrer leurs plongées en dégustant des boissons alcoolisées avec leurs compagnons de plongée. Quels sont les risques découlant d’une consommation d’alcool avant ou après des activités de plongée ?
Tout d’abord un peu de physiologie
Environ 20 % de l'alcool éthylique est absorbé au niveau de l'estomac et les 80 % restants le sont au niveau de l'intestin grêle. L'absorption de l'alcool se fait par un processus physique basé sur la différence de concentration de part et d'autre de la membrane digestive. Le pic d’absorption survient généralement de 20 à 30 min après l’ingestion du liquide alcoolisé dans un estomac vide.
Suite à son ingestion, l'alcool est absorbé selon une vitesse qui dépend de différents facteurs, tels que :
- Présence d'aliments dans l'estomac (effet retardateur) ;
- Concentration en alcool de la boisson consommée (effet amplifiant) ;
- Vitesse de consommation (effet amplifiant).
Il existe une formule qui permet de déterminer de façon approximative le niveau d’alcool dans le sang (alcoolémie) au pic d’absorption, soit environ 30 min après l’ingestion. Cette formule est la suivante :
Les abréviations étant :
- T : l’alcoolémie estimée
- V : le volume de boisson ingéré en ml ;
- p : le degré d'alcool de la boisson ingérée ;
- K : le coefficient de diffusion (0,7 pour l’homme et 0,6 pour la femme) ;
- m : la masse de l'individu en kg.
- 0,8 correspond à la densité de l’éthanol (alcool)
Par exemple, prenons le cas d’un homme de 70 kg ayant consommé une bière de 341 mL à 5 %, il y a environ 30 minutes et à jeun :
T = 0,28 g/L de sang ou 0,028 % (exprimé en m/v)
Pour la conduite automobile au Québec, la limite légale d’alcoolémie est de 80 milligrammes d'alcool pour 100 millilitres de sang ou 0,08 % (m/v), ce qui correspond à 0,8 g/L.
Dès que l'on commence à absorber de l'alcool, l'organisme commence à l'éliminer. Lors de la phase de consommation, l'apport d'alcool est plus grand que ce que peut éliminer le corps. Par conséquent, l'alcoolémie augmente. Une fois tout l'alcool absorbé, et que l’on cesse l’apport, l'élimination exerce son action. L'alcoolémie commence à redescendre. L'alcool est principalement éliminé par voie métabolique au niveau du foie par un système enzymatique appelé « alcool déshydrogénase ». Cette voie, responsable de l'élimination de plus de 90% de l'alcool présent dans l'organisme, est par ailleurs rapidement saturée, de telle sorte que la vitesse d'élimination demeure constante ; on ne peut l'augmenter (ou la diminuer) par un quelconque autre moyen. Le taux d'élimination de l'alcool est en moyenne de 0,15 g / L / heure ( ou 0,015 % /heure). D'une personne à l'autre, le taux peut varier entre 0,10 et 0,25 g / L / heure. On peut donc estimer qu’il faut entre 90 et 120 min pour éliminer complètement une consommation d’alcool. Des calculateurs estimant votre alcoolémie sont aussi disponibles sur le Web. Le site Web d’EducAlcool en propose un intéressant, qui est même disponible sous format application pour le iPhone ou les appareils Android.
Effets de l’alcool
Pris en petite quantité, l’alcool a un effet stimulant, excitant, amenant une désinhibition. À plus forte dose, l’alcool entraîne un effet sédatif. L'alcool agit principalement sur le système nerveux central (cerveau), et provoque dès que l'alcoolémie dépasse les 0,5 g/L ( ou 0,05 %) les effets suivants sur la plupart des sujets :
- Rétrécissement du champ visuel ;
- Augmentation de la sensibilité à l'éblouissement ;
- Altération de l'appréciation de l’espace et notamment des distances ;
- Diminution des réflexes et augmentation des temps de réaction à des situations imprévues. La durée moyenne du temps de réaction en conditions normales est évaluée à une seconde environ. Dès 0,5 g/L, ce temps de réaction atteint 1,5 seconde. Plus l'alcoolémie est élevée, plus le temps de réaction est allongé ;
- Surestimation de ses capacités, l'effet généralement euphorisant de l'alcool inhibe certains réflexes et peut induire des comportements périlleux.
Avec la profondeur, le plongeur subit l’effet de l’augmentation de la pression partielle de l’azote. L’azote a un effet de sédation, communément appelée narcose ou ivresse des profondeurs. On utilise souvent l’analogie qu’à chaque 15 mètres de profondeur, le plongeur serait soumis au même effet qu’un verre de Martini. Le plongeur qui aurait pris une consommation avant la plongée et qui descendrait à 30 mètres serait alors soumis à l’effet de 3 consommations. Ce plongeur augmente de façon significative l’effet de narcose et s’expose à un risque d’accident beaucoup plus élevé.
Cet effet est corroboré par une étude1 analysant les performances de plongeurs sous l’effet de l’alcool. Dans cette étude, des plongeurs expérimentés consommaient de l’alcool avant des plongées peu profondes en piscine. Différents niveaux d’alcoolémie étaient atteints. L’analyse des résultats démontrait chez ces plongeurs une diminution de l’attention et de la capacité à effectuer correctement la plongée à partir d’un niveau d’alcoolémie de seulement 0,40 g/L (ou 0,04 %). Ce niveau d’alcoolémie peut être atteint généralement avec la prise de seulement 1 ½ consommation pour un homme de 70 kg.
L’alcool et la maladie de décompression
En plus des effets mentionnés précédemment, l’alcool est également dangereux de par son effet de déshydratation. L’alcool vient inhiber l’action de l’hormone antidiurétique au niveau des reins. Vous avez sûrement déjà expérimenté cet effet lors d’une soirée au bar où vous avez dû visiter souvent les salles de bain. La déshydratation est considérée comme un des facteurs de risque importants pour la maladie de décompression.
Par ailleurs, la consommation d’alcool dans les heures suivant une plongée peut provoquer des symptômes tels que des étourdissements, difficultés de coordination et instabilité à la marche. Mais ces symptômes peuvent aussi être engendrés par une maladie de décompression. Le plongeur qui est sous l’effet de l’alcool aura probablement pour réflexe de croire que ses symptômes sont uniquement attribuables à l’alcool et ne pensera pas à la possibilité d’une maladie de décompression. Le plongeur risque alors de retarder le moment de sa consultation et du traitement de sa maladie de décompression. L’alcool pourrait aussi masquer des douleurs attribuables à une maladie de décompression.
L’alcool et hypothermie
L’alcool a pour effet de dilater les petits vaisseaux sanguins en circulation périphérique. Cette dilatation entraîne une perte de chaleur corporelle. Ce n’est donc pas une bonne idée que de consommer de l’alcool avant ou peu de temps après une plongée en eau froide. Les risques d’hypothermie seront alors accentués.
Conclusion
- Combien de temps devrais-je attendre après une plongée avant de consommer de l’alcool ?
- Il n’existe pas d’études permettant d’amener une réponse scientifique à cette épineuse question. Tel que mentionné précédemment, la consommation d’alcool post-plongée pourrait augmenter le risque d’une maladie de décompression ou en masquer les symptômes. Sachant que la majorité des maladies de décompression se manifestent dans les 6 premières heures post-plongée, il est probablement prudent de respecter un délai de 6 heures avant de consommer de l’alcool. Si par la suite on décide de consommer de l’alcool, la modération a toujours bien meilleur goût. Il est probablement sage de se limiter à 1 ou 2 consommations, surtout si l’on prévoit d’autres activités de plongée le lendemain.
- Si j’ai consommé de l’alcool, après combien d’heures serait-il sécuritaire de replonger ?
- Question également difficile à répondre de façon très précise. Vous pouvez vous efforcer à calculer votre alcoolémie dans le temps avec la formule proposée ci-haut ou via un calculateur électronique. Mais sachez qu’après une importante consommation d’alcool, même si votre alcoolémie est redevenue à un niveau zéro, vos neurones sont encore probablement « imprégnées » par la prise récente d’alcool. En effet, si vous avez déjà expérimenté un lendemain de veille, vous avez sûrement noté que votre niveau de fonctionnement était affecté durant une période qui excède la durée d’élimination de l’alcool.
- Certains bateaux de plongée de type « live-aboard » imposent un couvre-feu sur l’alcool à partir de 23h00. Le plongeur qui n’aurait respecté cette consigne se verra interdire la plongée du matin.
L'attitude sécuritaire et simple est la suivante :
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En vous souhaitant de vous enivrer seulement des beautés des fonds marins...
Référence
1) Perrine MW, Mundt JC, Weiner RI, When alcohol and water don’t mix : diving under the influence. J Stud Alcohol. 1994 Sep ;55(5) : 517-24
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